16 - Le lac des mouches

Nous avons profité de ces quelques jours à Akureyri pour repenser la suite du voyage. 

La traversée du pays par la Sprengisandur (F26) a laissé des traces et nous ne sommes pas prêts à repartir pour 200 km de piste. Nous irons donc bien comme prévu jusqu'au volcan Askja, mais en touristes : excursion en jeep.

Ensuite, nous allons visiter la partie nord-est du pays, en restant au plus près des côtes. En principe la route est bonne. La météo fera le reste...

S'il reste un peu de temps, nous ferons quelques incursions dans les fjords de l'est ou ailleurs.

Et pour le retour à Reykjavik, nous allons à nouveau jouer les touristes. En effet, le trajet de retour en bus vers l'aéroport, tel que nous l'avions imaginé au départ, nous semble un peu aléatoire  (vous allez comprendre pourquoi un peu plus loin...). Alors on va louer une voiture, mettre les vélos dedans et s'autoriser un petit road trip dans le sud du pays. Vacances dans le voyage...

Pour commencer, on va se poser quelques jours au lac Myvatn (le lac des mouches), un des plus beaux coins d'Islande paraît-il. Et prétexte pour se la couler douce.... 

Marcel et son orchestre

Lundi 24 juillet

Pour aller d'Akureyri au lac Myvatn, il n'y a qu'une seule route : la route n°1, celle qui fait le tour du pays. C'est un flot continu de camions, camping-car, bus, 4x4, motos, ... Pas très marrant. Seule alternative : repartir en sens inverse jusqu'à l'intersection avec la piste 8819. Un nombre à 4 chiffres, ouh là... ça veut dire toute petite route, pas asphaltée, peut-être une simple trace même pas damée. Je vérifie sur Openrunner : 2000 mètres de dénivelé positif sur 110 km... Bof.

On décide donc faire le trajet en bus.

Seulement voilà : d'après nos renseignements, le bus 56 ne peut prendre que deux vélos. Et encore, c'est au bon vouloir du chauffeur...

Le départ est à 8h et il n'y a qu'un bus par jour. Alors on met toutes les chances de notre coté : nuit à l'hôtel la veille, pour ne pas avoir à plier la tente, et réveil à 6h15, pour être à 7h30 à l'arrêt.

Il est 7h30. Nous sommes les seuls passagers avec vélos, donc ça se présente bien. Nous démontons et groupons nos sacoches, pour ne pas effaroucher le chauffeur.

Le bus arrive. C'est un minibus 30 places. Il n'y a pas de soute à bagage dessous, juste un coffre à l'arrière, pas bien grand, et un vieux porte-vélo tout rouillé. On comprend pourquoi c'est 2 vélos maxi. Le système vélo islandais a des progrès à faire...

Le chauffeur bougonne, mais accepte nos vélos. Il nous fait comprendre sans périphrases que c'est à nous de nous débrouiller pour les faire entrer ou les accrocher comme on peut : it is your responsibility ! 

Séraphine se contorsionne un peu pour entrer dans le coffre et Rouletabille est agrippé sur le bout de ferraille qui fait porte-vélo, ficelé tant bien que mal avec un tendeur tout pourri, royalement fourni par la compagnie Stræto. Marcel* examine l'arrimage, fait la grimace... puis nous dit de monter. Ouf ! Nous sommes dans le bus...

* Le chauffeur ne s'appelle pas Marcel, mais il y a 4 ans, après une première expérience un peu rock n'roll, on avait décidé que tous les chauffeurs de bus islandais s'appelleraient Marcel.

... Et voilà que dix minutes avant le départ, un groupe de 3 cyclistes québécois se présente. Aïe. Nous avons mal pour eux... 

Mais - chance pour eux - du bon vouloir, Marcel n'en manque pas. Il râle encore, mais accepte de les prendre. Il donne ses ordres : finalement, Rouletabille ira dans le couloir, et les 3 vélos québécois seront ficelés sur le porte-vélo. Maintenant débrouillez-vous...

Chacun se démène sous les yeux de Marcel et des autres passagers, dubitatifs. Rouletabille est déficelé, grimpé en force dans le bus, s'accroche un peu partout, raye quelques plastiques, se coince dans les accoudoirs, et parvient finalement au fond. Quant aux bagages, et bien il y en a partout... bourrés dans ce qui reste du coffre, dans le couloir, sur les genoux, sur les sièges, devant la porte... Pour atteindre les places arrières, il faut enjamber les sacs, passer par-dessus Rouletabille, grimper sur les accoudoirs... Heureusement, les passagers sont conciliants.

Un peu en retard, le bus démarre. Les québécois ont la banane, nous aussi.

Nous avons eu une chance inouïe de tomber sur ce Marcel-là, râleur mais dévoué quand même... Peut-être préfère-t-il voir des cyclistes dans son bus, plutôt qu'aplatis sous ses roues ?
 
N'empêche, il ne décolère pas : " Iceland is definitely NOT a country for bicycle ", lance-t-il en roulant les r.

Une heure trente et 80 km plus tard, nous sommes au lac Myvatn.

Et là, rebelote : Nous descendons ici, mais pas les québécois. 

Donc il faut tout déficeler, puis vider tout le coffre pour libérer Séraphine, cachée sous les bagages. Quant à Rouletabille, il est pris dans la nasse. Il est rentré mais ne peut plus sortir. Je dois démonter en urgence les pédales pour le décoincer et lui faire repasser la porte. La grosse dame au premier rang me regarde lutter, chercher la solution de ce casse-tête, sans bouger un cil. Coup de chaud et moment de solitude...

Et pendant ce temps, sur le macadam, deux autres cyclistes attendent pour embarquer. Ils regardent le manège, un peu consternés, peut-être en train de se faire à l'idée d'attendre le bus suivant, c'est à dire demain... 

Mais Marcel est vraiment dans un bon jour, plus bougon que jamais et néanmoins de bonne volonté, il donne ses ordres : 2 québécois dans le coffre, et le reste sur le porte-vélo. Allez hop ! Action !

Les québécois sont à la manœuvre. Tout est finalement entré ou attaché. Tout le monde est dans le bus, soulagé. Marcel a fini sa cigarette, le bus démarre.

Les québécois hilares nous saluent par la vitre. Nous regardons le bus partir, contents que tout se soit bien passé.

Il est onze heures du matin. Pas de programme aujourd'hui. Seulement faire quelques courses à la supérette, poser la tente au camping et... ne rien faire !


Pseudo-volcan - Lac Myvatn

Bon plan (mais chut !)

Le camping est superbe, un des plus jolis et des plus confortables que nous ayons eu jusqu'à présent : des terre-pleins de belle herbe verte, étagés en balcon, avec vue sur le lac. 

Petit bémol : en guise de cuisine et de salle commune, il y a un barnum ouvert à tous les vents. Mouais... Nous demandons innocemment ou est-ce qu'on peut cuisiner et manger au chaud, et le réceptionniste (un jeune slovaque en job d'été) nous répond " vous pouvez aller dans la salle de l'auberge de jeunesse de l'autre coté de la route ".

On file avant qu'il ne change d'avis...

Et là, c'est le top : cuisine équipée, avec grille-pain (on aime beaucoup ça), salle commune dans une véranda chauffée et lumineuse... formidable ! Et pendant ce temps les clients du camping se gèlent sous le barnum... Il suffisait de demander. Mais chut, ne le répétez pas !

Le soir, nous retrouvons Guillaume, le motard lillois rencontré à Akureyri. Il repart mercredi pour prendre le bateau à Seydisfjordur jeudi. 

Seydisfjordur, c'est là où arrive le bateau qui part de Hirtshals au Danemark. C'est là que nous serions arrivé l'an dernier si le voyage s'était déroulé comme prévu. À bien y réfléchir, nous avons peut-être eu de la chance. Passer directement des paradis cyclistes d'Europe du Nord aux difficiles routes islandaises, ça aurait fait un sacré choc ! Là, on a eu l'Irlande pour s'acclimater mentalement et physiquement... Et en plus, c'était déjà un très beau voyage... Donc pas de regrets.

Marcel et son orchestre

N'embêtez pas le dragon !

Mardi 25 juillet

Au lac Myvatn, l'activité volcanique est intense. Je dis est car en Islande il n'y a pas de volcans éteints, seulement des volcans en sommeil jusqu'à la prochaine éruption. Par exemple, le Krafla, à coté d'ici, a connu une violente éruption en 1724 - les Myvatn fires - puis 9 éruptions entre 1975 et 1984 (Krafla fires). Et l'Askja, 100 km plus au sud, c'était en 1875 puis en 1961. Le lac Myvatn est lui-même percé et entouré de volcans plus ou moins jeunes.

Donc, vous l'avez compris, ici ça chauffe... Le magma n'est pas très loin sous nos pieds. 2 km par endroits près du volcan Krafla. Nous sommes sur la faille médio-atlantique, qui coupe en deux le pays du sud-ouest au nord est. Chaque partie s'éloigne de 2 cm par an, en moyenne, à coups de tremblements de terre et d'éruptions.


Ce matin, nous allons à Hverir, à 10 km de Myvatn. C'est une zone géothermique qui nous rappelle Kerlingarfjöll, visitée il y a quatre ans. C'est moins grandiose mais plus actif : solfatares puissants, cratères de boue grise glougloutante, bruits de cocotte-minute, vapeurs soufrées un peu partout, odeur d'hydrogène sulfuré...

Hverir - site géothermique

je m'imagine marcher sur la fine croûte tremblante d'un soufflet géant en train de cuire. Mieux vaut avoir le pied léger. Et en parlant de cuire, on n'a pas apporté les œufs pourris mais on a l'odeur...

Et tout ce monde insouciant qui blablate et fait des selfies, comme si c'était normal de se ballader sur le couvercle d'une marmite fumante et sentant le soufre, comme si on était à la fête foraine... 

Eh, m'sieurs dames ! On est en direct avec le centre de la terre, là ! Un peu de respect... Arrêtez de titiller le dragon !





10° dehors, 40° dedans

Et pour rester dans l'ambiance islandaise, cet après-midi c'est bain chaud. Près de Myvatn, il y a une usine géothermique. Qui dit usine géothermique dit rejets d'eau chaude chargée de silice. Et qui dit rejets d'eau chaude chargée de silice dit... " blue lagoon " ! Ici, c'est 40 euros l'entrée. Moins cher que dans le sud mais quand même...

On hésite. Et puis bon. On est là, c'est maintenant ou jamais. Il n'y a pas trop de monde... C'est décidé on y va. Douche tout nu (c'est la règle, même pour les touristes), passage rapide à l'air frisquet et hop ! À l'eau...

Ce n'est pas à proprement parler une piscine. Les bassins ne sont pas cimentés. Le fond est sableux et tout autour il y a des pierres pour s'asseoir. Elles sont lisses et glissantes comme du savon.

On est resté plus de deux heures dans cette eau bleue opaque à 40°, avec vue sur le lac en contrebas, qui brille d'un blanc éclatant quand le soleil veut bien percer les nuages. 

On est ressortis en baillant, peau lisse et muscles ramollis... Heureusement, ça descendait pour rentrer au camping.





Mouches oreillophyles et nasophyles

Myvatn, en islandais, c'est le lac des mouches. 

Et en effet, il y en a des milliards, partout. Elles sortent de nulle part dès qu'une chaleur animale passe à leur portée. Pour s'en débarasser, il suffit de bouger. Le moindre souffle et elles s'évanouissent. Ce sont des petites mouches grises qui font penser aux midges écossaises ou irlandaises, mais heureusement inoffensives. Elles veulent seulement un peu de chaleur, un peu de compagnie...

Elles adorent se nicher dans les oreilles. Quand elles y entrent, elles s'affolent pour en sortir et ça fait un vacarme... Parfois, elles visent aussi les trous de nez, ou bien elles passent derrière les lunettes. C'est désagréable mais pas bien grave... Et puis il n'y a ici ni moustiques, ni guêpes, ni aucun de ces petits embêtements qu'on a ailleurs. Alors...

Mercredi 26 juillet

Temps toujours gris et froid. 

En fait, la dernière vraie journée ensoleillée avec température agréable était à Kidagil, lorsque nous sommes sortis de la F26... Et l'avant dernière sur la côte sud, à Stoksseyri, lorsque nous sommes arrivés en Islande.

Pour le reste, c'est ciel bas et gris, vent glacial du nord-est et petits crachins, quand ce n'est pas la brume qui descend le soir et engloutit tout.

Température le matin : 6°. Et au meilleur de la journée : 10°. Même pour les islandais ce n'est pas un été normal. Ici, un coup de soleil n'est pas une brûlure sur la peau mais un trou dans les nuages...

De toute façon, on n'y peut rien changer. Si on veut du soleil tous les jours, on ne vient pas ici.

C = π x D

Aujourd'hui, c'est rando : grimper sur ce spectaculaire volcan que nous avons vu par les fenêtres du bus en arrivant ici lundi dernier.

Le volcan Hverfjall est un cratère de cendres parfaitement circulaire, d'1 km de diamètre et par conséquent d'environ 3,141592654 km de circonférence. C'est un volcan de type explosif. Cela se produit lorsque la lave sous pression rencontre une grande masse d'eau froide. La lave est violemment éjectée et pulvérisée, et retombe en cendre. Mais bon. C'était il y a longtemps...

Pour compléter, petite détour par Dimmuborgir. Un étrange labyrinthe, formé d'énormes grumeaux de lave, dressés vers le ciel, animaux fantastiques, arches ou même cavernes. Il paraît que des trolls s'y cachent...

Puis nous rentrons bien vite nous mettre au chaud dans la cuisine de l'auberge de jeunesse.



Les bleus sont en voyage organisé " National Geographic ". 
On imagine que le blouson est compris dans le prix

Ce n'est pas moi qui ait fait la photo. C'est juste pour illustrer


Belle ballade, mais pas pour les cartes postales...

Jeudi 27 juillet

Nous avons rendez-vous à 8 heures sur la place du village pour l'excursion en jeep vers le volcan Askja, 100 km à vol d'oiseau vers le sud.

Après une heure de route, la jeep s'engage sur la piste F88. Nous scrutons le terrain en connaisseurs : aurions-nous pu passer en vélo ? Réponse : oui si on a du temps devant soi, si la météo est favorable, si les rivières ne sont pas trop hautes, si la piste n'est ni trop défoncée ni trop sablonneuse, si, si, si.... Ça fait beaucoup de si. Donc pas de regrets... Surtout pas aujourd'hui, avec cette météo hivernale.

Le temps est gris, froid et humide. Vers 700 mètres d'altitude, nous entrons dans la couche nuageuse. Et plus nous montons en altitude, plus le brouillard est dense. Au pied du volcan, on ne voit plus rien du tout. On est à 1100 mètres. Il doit faire 0 ou 1°. Le brouillard devient glace et picote sur nos vêtements.

Nous marchons dans la grisaille, trempés par le crachin gelé. Et soudain apparaît ce lac aux eaux laiteuses bleues turquoise, au fond du petit cratère Víti (l'enfer, en islandais). Incroyable. Malgré la quasi absence de lumière, il est resplendissant. Ses eaux sont fortement soufrées et acides (pH : 1,5). Pourtant, on aperçoit quelq'un qui s'y baigne... Chacun son truc. Il est vrai que l'eau est à 24°. 

Une eau à 24°, qui sent le soufre et dégage du CO2... ça chauffe toujours là-dessous depuis la dernière éruption (1961)... Askja n'est qu'en sommeil. Laissons-le tranquille...

Au retour nous passons par la F910 puis la F905, avant de rejoindre la civilisation, à Modrudalur (le lieu habité le plus haut d'Islande - 500 mètres).

Il est 19h30 quand nous rentrons à Myvatn. 280 km dans la journée... en vélo ça nous aurait pris 8 jours, avec sans doute des moments pénibles, mais aussi le plaisir de l'effort, la fierté de l'avoir fait. 

Mais cette fois, il nous manquait l'envie...

À méditer...

Demain, on se remet en mouvement. Direction l'extrême nord du pays, en passant par le volcan Krafla et Dettifoss.




Le cratère Víti




Récap

  • lundi 24 juillet - 23 km - Akureyri - Myvatn (83 km en bus)
  • mardi 25 juillet - 13 km - Myvatn
  • mercredi 26 juillet - 26 km - Myvatn
  • jeudi 27 juillet - 3 km - expedition Askja (280 km en Jeep)

<- Précédent

Suivant ->

Commentaires

  1. Bonjour à vous deux,
    A mon retour du Québec, Philippe me fait part de vos aventures. Quel bonheur de vous lire, de voir les paysages en photos et en dessins. Merci de prendre du temps pour partager avec nous.
    Vous m'impressionnez beaucoup, traverser autant d'émotions, aller au bout de ses rêves, rencontrer des gens sympas, ...et surtout garder le moral ! Comment revenir dans le monde "ordinaire" après toute cette aventure? Pour ma part, je prends aussi un tournant avec la fin de ma vie professionnelle et l'aménagement d'un atelier...on en reparlera.
    On vous attend. Prenez soin de vous, Bises
    Céline
    PS. je me suis reprise à deux fois pour l'envoi de mon commentaire, j'espère que cette fois c'est bon!

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire