25 - L'élan lent

Dimanche 15 octobre

Le temps est tiré

Déjà 3 semaines ont passé. Séraphine et Rouletabille sont immobiles, dans le garage. Notre voyage est loin, tout petit, là-bas, au fond de nos mémoires...

Il faut voir nos vélos encore tout crasseux, tourner les pages des carnets de Béatrice, s'amuser à replacer les étapes sur les fonds de carte, pour raviver les souvenirs et se rendre compte du chemin parcouru. Non nous n'avons pas rêvé...

Si la vie sédentaire a repris possession de nos agendas, la transition est douce. Nous parvenons à diluer les obligations du quotidien dans un temps étiré, assoupli. L'élan du voyage lent demeure. Une sorte d'anti-élan qui conserverait la lenteur plutôt que la vitesse : L'élan lent !

Il reste heureusement un peu de place pour ne rien faire.
Le moment d'un regard en arrière...

Nous aimons les chiffres

Nous aimons les chiffres, alors en voici quelques uns :
  •  5  : les pays traversés (France, Irlande, Ecosse, Islande, Angleterre).
    •  1  : le courrier important mais non urgent livré à Akyreyri (Islande).
      •  4 777  : les kilomètres parcourus à vélo.
        •  38 970 m  : Le dénivelé positif total.
        •  850 m  : Le point culminant du voyage (quelque part au milieu de l'Islande)
        •  121 jours  : La durée du voyage (dont 91 jours " pédalés ")

        •  51 km  : La distance moyenne journalière, par jour pédalé.

        •  6,8 km/h  : La vitesse moyenne, par jour pédalé, pauses comprises
        •  421 m  : Le dénivelé positif journalier, en moyenne, par jour pédalé
        •  50 kg  : Le poids total de Rouletabille chargé.
        •  40 kg  : Idem pour Séraphine (entre 35 et 40 selon l'état des réserves de nourriture)

        Pour la prochaine fois...

        A chaque fin de voyage, on se doit de faire l'inventaire de ce qui a bien marché, pas bien marché. Ça sert pour la prochaine fois...

         (je ne parle ici de que de ce qui a changé par rapport à l'année dernière)

        Ce qui a bien marché

        • La nouvelle tente Hilleberg. Même format que notre ancienne Vaude, et donc même fonctionnalités : pouvoir tout caser à l'intérieur, s'y réfugier et rester au sec quand la météo est défavorable. Elle a parfaitement résisté aux intempéries. Déjà presque 80 nuits...

        • Mon matelas gonflable Décathlon. Plus large que le Therm-a-Rest, plus facile à gonfler, aussi confortable et aussi isolant. Et 3 fois moins cher.

        • Le moyeu Rohloff de Séraphine. Il a tenu ses promesses. Confort du passage des vitesses, fiabilité (après quelques petits serrages de boulons au départ). Plus de casse de câbles !
        • Les pédales magnétiques. Elles conviennent à Béatrice, qui peut se décrocher les pieds plus facilement qu'avec des cales SPD classiques.

        • Les sacoches Ortlieb spéciales vélo couché. Elles sont plus pratiques lorsqu'ils faut les porter (hôtel, train, bus, avion,...)

        • Le lubrifiant de chaîne dit "sec". Il n'attire pas la poussière. Pas d'encrassement, pas de cambouis. Mais il faut en remettre très souvent, surtout s'il pleut.

        • La veste de pluie jaune fluo Décathlon. Pas de Goretex, pas de tissu technique sophistiqué... Mais finalement suffisante dans la plupart des cas.

        • La cuisson à la vapeur : on met de l'eau à bouillir dans la popote, on met l'assiette au dessus avec les aliments dedans, on met le couvercle et çà chauffe gentiment. Ça permet de varier la nourriture : on peut faire chauffer des plats préparés sans les cramer. Ça ouvre des perspectives !

        • Les chaussures de trail ultra-légères (Alain). Elles ne m'ont pas beaucoup servies - j'ai presque toujours mis les sandales Shimano SPD - mais au moins elles n'ont pas pesé dans mes bagages !

        • Le bivouac. Dans les zones peu touristiques et/ou peu habitées, les solutions d'hébergement sont peu nombreuses. Alors on s'est progressivement habitué à l'idée de dormir dans la campagne. C'est même devenu un vrai plaisir :  un petit coin tranquille, rien qu'à nous, à l'abri des regards... tant pis pour la douche ! 
        • Le porte-sac de Séraphine. Beaucoup plus pratique que les élastiques de l'an dernier. Et accessoirement, le sac à dos étanche Ortlieb est bien plus robuste que le HPA de Rouletabille (voir ci-dessous).
        • Le poisson séché. Il y a quatre ans en Islande on y avait juste gouté. Là, on a vraiment apprécié. C'est léger et plein de protéines, donc très pratique en voyage. Il faut juste accepter l'impression de mâcher du carton.
        • Les petits-déjeuners. Qu'ils soient irlandais, écossais, islandais ou anglais, ce sont de vrais repas. Chers quand ils ne sont pas compris dans le prix de la chambre, mais toujours rentables, car on peut facilement sauter le repas du midi.
        • Les guest house avec camping, en Islande. Un simple champ, peu de monde, et toutes les commodités d'un hôtel... surtout le salon cosy pour le soir et le petit-déjeuner !
        Ce qui a moins bien marché

        • Le pantalon de pluie. Un vrai dilemme... Quand il pleut on le met, et dès qu'on l'a mis on veut l'enlever. Au bout de quelques kilomètres, il devient insupportable. Je me demande si le mieux n'est pas de rester en short sous la pluie, voire en slip de bain ! (sauf s'il fait froid).

        • Les sacoches Ortlieb spéciales vélo couché. Elles sont suffisamment vastes, mais difficile à charger de façon rationnelle. De plus, une des sacoches de Béatrice - pourtant neuve - prenait l'eau par le fond. A revoir.

        • Rouletabille. Pas mal de petits bobos - heureusement sans gravité - qu'il a fallu régler en route : des trucs qui se dévissent, la potence en acier inox trop mou qui se tord à chaque chute (et sur le sable des pistes islandaises on est vite par terre...), des casses de chaîne à répétition, à cause de galets de dérailleur totalement usés. Et quand je dis totalement, c'est totalement.

        • La veste de pluie Arc'teryx. La fermeture éclair laisse passer l'eau. Et le Goretex semble avoir perdu de ses qualités.

        • Le choix des vêtements (Alain). Je me suis trouvé fort dépourvu, lorsque l'hiver en juillet fut venu... À Akureyri j'ai dû m'équiper d'une tenue adaptée aux températures inhabituelles de l'été, même pour les islandais.

        • Le sac à dos étanche "HPA". Un fiasco total. La toile se fendille et la fermeture éclair a lâché. Lorsque nous sommes rentrés au mois d'août, je l'ai remplacé par un baluchon Ortlieb étanche qui dormait dans le fond d'un placard. Plus grand, plus pratique, plus facile à fixer sur le porte-bagage. Inconvénient : Ce n'est pas un sac à dos.

        • L'appareil photo. Il est tombé en panne en Irlande. Il a fallu en faire venir un autre. Cela a occasionné pas mal de tracasseries... et des frais de douane !

        • Le matelas Therm-a-Rest de Béatrice. Il commence à moisir à l'intérieur. Mais c'est sans gravité. Il est toujours aussi confortable et isolant.

        • Mon téléphone. Il faut le cajoler et lui parler dans l'oreille pour qu'il accepte de se recharger. Cela me rappelle nos conversations avec Ronan : on prétend s'affranchir des servitudes de la vie moderne, mais un téléphone en panne, çà non ! 

        Le voyage lent, ça s'apprend

        Lorsque nous avons retrouvé Ronan à Rennes, il nous a demandé : " En quoi ce voyage vous a-t-il changé ? "

        Vaste question. On n'a pas répondu tout de suite.

        Et après réflexion je dirais : Nous avons appris à vraiment lâcher prise. Ça semble banal, mais c'est plus facile à dire qu'à faire.

        Nous avons voyagé plus longtemps que l'an dernier, et fait moins de kilomètres. Nos étapes étaient plus courtes, les jours off plus nombreux. Et ce n'est pas seulement à cause de la difficulté du terrain.

        Chaque jour, sauf circonstances particulières (désert islandais...), nous roulions sans objectif précis, partant sans hâte le matin, et arrêtant de préférence assez tôt le soir.

        Nous avons appris à rester plusieurs jours au même endroit, là encore sans autre objectif que celui de se reposer, de jouir du moment présent, d'un lieu agréable, ou d'un paysage émouvant.

        À aucun moment nous n'avons ressenti le stress de devoir arriver à tel endroit tel jour. Nos seules dates imposées étaient l'aller-retour en avion entre Glasgow et l'Islande, et le break familial du mois d'août. Mais nous avions calculé large.

        Et ce n'est pas qu'une question de temps. Il y a aussi - pourquoi ne pas le dire - les moyens financiers. Dans nos bagages nous avons aussi une carte bancaire... Cela ne veut pas dire que nous avons jeté l'argent par les fenêtres. Mais simplement que nous ne nous sommes pas privés. Nous avons dormi à l'hôtel quand nous le voulions, mangé au restaurant, acheté en route ce dont nous avions besoin, lorsque nous l'avons jugé nécessaire ou lorsque cela nous faisait envie, sans culpabilité ni remords.

        Et il y a autre chose : Il ne s'est pas passé de jour sans une rencontre, une discussion, un échange jovial avec les personnes rencontrées le long de la route, quel que soit le pays traversé. Seule condition : être à l'écart des zones touristiques. 

        Bien sûr, nous savons que nos ambassadeurs Rouletabille et Séraphine ont joué un rôle. Bien sûr, nous y avons consacré tout le temps nécessaire (nous n'avons jamais été les premiers à clore une discussion).

        Et c'est peut-être justement cela qui change tout : quand on a décidé que rien ne presse, on est plus disponible, plus accueillant. On dit plus facilement : oui !

        Un chat sur les genoux

        Pendant que j'écris ces lignes, le monde s'embrase. Cette actualité toxique que nous avons tenue éloignée depuis notre départ nous revient à la figure et nous submerge. Partout la colère gagne et se cristallise en haine. Les autocrates de tous bords, plus soucieux d'eux-mêmes que du bien commun, savent l'attiser et l'entretenir comme on attise un feu. Car la colère est le combustible de la guerre (relire " Mars ou la guerre jugée "). Les populistes et les fanatiques ont toujours besoin d'ennemis...

        Mais alors, pouvons-nous continuer à vous raconter nos petits bonheurs de cyclistes, confortablement installés dans notre bulle d'égoïsme et d'insouciance tandis que le monde brûle ?

        Oui. 

        Parce que voyager lentement, discrètement, sans arrogance, c'est laisser de la place à l'inutile, aux rencontres, aux échanges, à la poésie. C'est peut-être un antidote aux poisons qui nous rongent.

        Parce que voyager est une œuvre de paix. Même à notre modeste petite échelle.

        Franquin faisait dire à Gaston Lagaffe : " Si tous les généraux du monde avaient un chat sur les genoux, je serais drôlement plus rassuré ".

        " Vous êtes courageux... "

        " Hé bê, vous êtes courageux ! " 

        C'est ce qui revient le plus souvent dans les discussions.

        Mais il n'y a pas besoin de courage pour faire ce qu'on aime !

        Et tiens, au fait : Qu'est-ce qu'on aime dans le voyage à vélo ? Pourquoi pédaler ?

        Parce que le plaisir est un peu proportionnel à l'effort consenti. Parce que les difficultés donnent de la saveur du voyage, et font les beaux souvenirs. Parce que pédaler rend le monde plus beau.

        Parce que le vélo donne plus de temps qu'il n'en prend.

        Parce que le vélo est un instrument de rencontre, et donc de paix.

        Et aussi voir du pays, traverser de beaux paysages, être dehors, le contact avec la nature, l'imprévu, les gens, les rencontres, se sentir vivants...

        Mais ce qu'on aime par dessus tout, c'est la vie simple : pédaler-manger-dormir, se cocooner dans les routines apaisantes du quotidien. Vivre avec une maison réduite au contenu de 2 paires de sacoches...

        Vivre dans un monde parallèle où le temps nous appartient.



        Vivement le prochain départ...


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        Commentaires

        1. Votre récit aura été jusqu’au bout une véritable source d’enrichissement, de réflexion(s) et d’émotion(s). Encore une fois la qualité d’écriture et des illustrations me confortent dans cette idée que je vous demanderai une dédicace personnalisée du livre de voyage, issu de ces chroniques, dont je ne connais pas encore la date de sortie 😉. Reste à trouver un titre à l’ouvrage (« Éloge de la lenteur », que nous avions évoqué à Rennes, est déjà utilisé 😉); « L’élan lent » pourrait sans doute convenir 😂.

          Bien à vous et donc à bientôt pour les dédicaces en librairie 😉

          Ronan

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        2. Pour le pantalon de pluie, c'est ce que j'ai fait aussi, une fois en Bretagne (probablement), quand il s'est mis à pleuvoir fortement: j'ai simplement enlevé mon pantalon pour le rouler et le mettre dans un sac plastique dans ma sacoche et j'ai tout simplement roulé avec mon cuissard sous mon poncho.
          Quynh

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        3. Un grand merci à vous 2 pour ce voyage partagé, fenêtre ouverte sur des moments de vie respirant le plaisir.
          Ton mot de la fin résume bien le proverbe "rien ne sert de courir, il suffit de partir à point", et ne fait que confirmer qu'il faut savoir profiter du moment présent tout en prenant du plaisir.
          Il me tarde de suivre les prochaines aventures de Rouletabille et Séraphine.
          Encore merci à vous et continuez à profiter de la vie.

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