06 - Drive left !



Mercredi 31 mai

C'est fou comme une nuit paisible dans un bateau peut vous faire changer de monde. De ce coté-là de la Manche, tout est pareil et tout est différent. Je pense au quai neuf-trois-quart et à l'express de Poudlard...

L'Irlande n'est pas un pays exotique : Mêmes supermarchés gorgés de plastique, même circulation intense, mêmes usages. Et tout est différent : les maisons colorées, les pubs tous les 100 mètres, les collégiens en uniforme, la conduite à gauche, les panneaux en gaélique, pas toujours bilingues, la sociabilité (j'y reviendrai...). Pas de doute : on est ailleurs.


Après un petit café en terrasse avec une cyclo-voyageuse rencontrée à Roscoff, nous mettons le cap sur le Kerry, à travers la campagne.

On se pousse et ça passe

La conduite à gauche, on s'y fait vite. Le plus délicat, c'est quand on démarre, quand on tourne à un carrefour ou quand on prend un rond point. Il y a des automatismes à reconfigurer. En attendant, il faut réfléchir.

Pas de véloroute par ici, encore moins de voies vertes, et peu de routes secondaires. A vrai dire, il n'y a tout simplement pas d'aménagements cyclables. Les routes sont étroites et n'ont pas de bas coté : ce sont les camions qui entretiennent les haies en les rabotant à chaque passage !


Peu de place pour les vélos, donc, mais au moins les automobilistes sont bienveillants, sans agressivité. Ça roule vite, ça frôle un peu parfois, mais tout le monde y met du sien et ça passe...

En tant que cycliste, français de surcroît, on a du mal à se faire à l'idée qu'on peut pédaler en relative sécurité sur une grande route, même quand il n'y a pas d'aménagements cyclables, même quand ça va vite et même quand les routes ne sont pas larges. Il suffit - je me répète - que chacun y mette du sien.

Il n'est pas rare que les voitures ou les camions restent derrière nous plusieurs centaines de mètres, jusqu'à ce que le dépassement devienne possible. Et si à ce moment-là un véhicule arrive en face au détour d'un virage, il va freiner sans faire d'histoire, tout le monde va se serrer un peu, et ça va bien se passer.

(Ré)apprendre à patienter

Si les automobilistes sont indulgents, les routes le sont beaucoup moins. Pour nos mollets...

Ici on trace au plus court, au mépris des reliefs. Le ruban d'asphalte est déroulé à travers les collines, le plus droit possible, comme un trait de peinture sur un sol bosselé. Il y a bien des virages, mais ils sont dans le sens de la hauteur. Évidemment, en voiture c'est sans importance : une petite pichenette à l'accélérateur, et on n'en parle plus. Mais à vélo, surtout quand il pèse 45 ou 50 kilos, ce n'est pas la même histoire... Quand ça monte, on a les cuisses en feu. Et 200 mètres après ce sont les freins qui chauffent. Puis ça recommence...

Plongeon

Et maintenant grimpette (et merci du conseil !)

Alors on réapprend à patienter. On  se met dans la pente et on attend que ça se passe. Petit à petit on retrouve un rythme paisible, même dans les forts pourcentages. Au pire, quand un " mur " à 20% se présente, on pousse le vélo et tant pis pour l'amour-propre... 

D'ailleurs, à ce petit jeu, Séraphine s'en sort mieux que Rouletabille. Merci qui ? Merci Rohloff !

Nous sommes sur la butter road - l'ancienne route du beurre - qui relie le comté de Kerry à la ville de Cork. Au 18ème siècle, les productions laitières du Kerry étaient acheminées par cette route jusqu'à Cork pour être ensuite exportées.



Pas de touristes et route tranquille. Ça nous va bien pour cette première journée. La pente est irrégulière, les " coups d'cul " s'enchainent. Prenons ça comme un rituel initiatique...

L'Irlande est un pays chaud

Et je ne parle pas de la température, exceptionnelle, ni du ciel bleu limpide, ni du vent doux. Je parle de gentillesse,  de bienveillance, d'humour, de connivence, bref : de chaleur humaine.

Il n'est pas d'arrêt où nous ne trouvions à qui parler. Les gens nous abordent spontanément, la conversation s'engage, et ça peut durer un moment. Nos vélos font toujours leur effet, bien sûr, les questions sont toujours à peu près les mêmes, mais il se passe quelque chose d'autre : la conversation est naturelle, comme si nous croisions un voisin dans la rue...

Sur le bord de la route, en pleine montée je marque une pause. Un bus scolaire est arrêté. Je m'approche du chauffeur. C'est un vieux paysan qui arrondit sa retraite en conduisant le bus. La conversation s'engage spontanément. On parle des vélos, du temps, de la chaleur inhabituelle, puis de la sécheresse, puis de ses vaches limousines, dont il est fier. S'il n'y a plus d'eau, il leur donnera de la Guiness. On rigole...

Une autre fois, j'attends à coté d'une petite maison. La dame sort de chez elle, et c'est parti : where are you from ?, etc... Je lui explique notre voyage. Elle pousse des oh ! et des ah ! Elle rit, me souhaite bon voyage et rentre chez elle. 

Voilà. C'est comme ça tout le temps.

Où dormir ce soir ?

Pas de touristes, ça veut dire pas d'hébergement : pas de camping, pas d'hôtels, et les quelques B&B encore à notre portée ce soir ne répondent pas. Nous envisageons de demander un petit carré d'herbe dans une ferme.

L'après-midi est déjà bien avancée. Et voici un col à franchir. L'ascension commence. Les fermes se font rares, plus d'arbres, des champs de cailloux, les hauteurs environnantes sont dénudées. Toujours rien pour dormir.

Mais stopper au milieu d'une ascension, on n'aime pas. Alors on passe le col en espérant qu'à l'approche de la prochaine ville (Millstreet, à 10 kilomètres) nous trouverons une solution.

Et deux kilomètres après le sommet, lancé en pleine descente, je vois sur le coté quelques huttes en bois autour d'une maison. Cela ressemble à un petit camping à la ferme. Freinage d'urgence. Je m'arrête et je sonne. Conrad (c'est son nom) m'ouvre. Il m'explique que le camping est fermé, mais accepte que nous y passions la nuit, en souvenir des français qui l'ont accueilli quand lui-même voyageait sur la côte d'Azur, il y a 30 ans. 

30/05/2023 - Glamping sur la route du beurre, près de Millstreet 

Il se met à nettoyer les sanitaires, la petite cuisine, vérifie le fonctionnement de la douche, débarrasse les affaires qui traînent. Petit à petit, ce lieu qui semblait à l'abandon redevient un vrai petit camping bucolique, rien que pour nous. C'est sommaire mais on n'en demande pas plus. Ce soir nous dormirons dans une petite hutte en bois...

Conrad est revenu plusieurs fois nous voir, pour discuter. Il nous a apporté des fruits, du café, des biscuits et même de la soupe. En fait, on a passé la soirée avec lui.

Tout finit toujours par s'arranger.

On n'a pas très bien compris si cet endroit est toujours officiellement un camping. Peut-être bien que non...

Jeudi 1er juin

Étape plus facile mais pas agréable jusqu'à Killarney. Grandes routes et circulation intense. D'autant que c'est " Bank holidays " en ce moment. Un peu comme les ponts du mois de mai chez nous. Et comme en plus il fait un temps estival, les islandais se sont mêlés aux premiers touristes pour encombrer les routes.

Pour résumer, quand on peut choisir c'est :
  • Soit grandes routes / circulation intense / pentes acceptables
  • Soit petites routes / peu de circulation / virages verticaux
Mais souvent, il n'y a pas d'alternative.

01/06/2023 - Promenade au Lough Leane, près de Killarney

Vendredi 2 et samedi 3 juin

Killarney est une jolie petite ville très animée et touristique. Mais en ce moment on a plutôt soif de grand air et de paysage. Alors on ne s'attarde pas, et on file direction la péninsule de Dingle.

A Dingle, joli petit camping dans le jardin d'une auberge de jeunesse (Rainbow hostel). On est un peu les uns sur les autres mais nos plus proches voisins sont là pour dormir. Ça tombe bien nous aussi. On décide de rester 2 jours.

Ce matin le ciel est voilé, mais pas une goutte de pluie. Tout juste une petite sensation de brume humide par moment. Tout cela se dégage progressivement et le soleil gagne bientôt la partie.

Belle journée pour faire le tour de la péninsule de Dingle par la route de Slea head (de toute façon, il n'y a qu'une route). Paysages magnifiques. La Norvège et la Bretagne réunies dans un même tableau. On se régale. Presque du repos. D'autant plus qu'on a laissé les bagages à l'auberge de jeunesse.

Dingle

Cuan Ard na Caithne (quelque chose comme ça...). 
Des scènes de la Guerre des Étoiles VIII y ont été tournées.

Sur la route de Slea Head. Au fond : An Blascaod mór. 
(Je mets les noms en Gaélique pour l'ambiance...)

Au fond, Le Ring of Kerry

Baie de Dingle, le soir

Nicolas et Pimprenelle sont du voyage !

03/06/2023 - Gallarus Oratory - presqu'île de Dingle.
 Construction entièrement en pierres sèches, toujours là après 13 siècles.


03/06/2023 - Slea Head Road - Presqu'île de Dingle

Dimanche 4 juin

Pour sortir de la péninsule, deux solutions : la nationale par laquelle nous sommes arrivés, ou le " Connor pass ", un col à 450 mètres d'altitude. On opte pour le col.

Maintenant, on connaît la recette : trouver un rythme confortable et attendre que ça finisse. Du reste, pour une fois, la route est plutôt bien profilée : du 6% au départ et du 7,5% à la fin. Avec les vélos chargés, tant qu'on est en dessous de 9, ça passe. Quelques cyclos-sportifs nous doublent et nous encouragent.

Le paysage fait penser à des grands cols alpins à plus de 2000 mètres : pâturages ou landes pauvres, petits lacs d'eau sombre, moutons, cailloux, quelques arbres rabougris et pliés par le vent.

La ville de Dingle, tout en bas

Connor pass

On y est. Ouf !

Descente, versant nord.

De l'autre coté, au début de la descente, la route est en corniche et plus étroite, avec toujours ce paysage immense. Un mélange de pentes alpines et de baie océanique, baignée de lumière. Je réduis ma vitesse pour en profiter au maximum (de toute façon la route est mauvaise).

Ce soir, nous dormons à Tralee. Grand camping familial bien équipé, propre et pas donné. Il y a des gamins partout, du bruit, des chiens, des gens qui passent et repassent " chez nous ". On se dit que la nuit va être compliquée... Et à 23h, terminé. Plus rien. Plus un bruit. Explication : en cas de plainte, les fauteurs de trouble sont virés dès le lendemain. C'est écrit dans le réglement.

Lundi 5 juin

La véloroute que nous suivons plus ou moins (l'EV1) contourne l'estuaire de la Shannon, et emmène les cyclistes visiter la ville de Limerick.

Comme on n'est pas fan des grandes villes, on laisse l'EV1 et on se dirige plein nord vers la petite ville de Tarbert, où il y a un bac pour traverser l'estuaire. Nous avions prévu d'y dormir ce soir et de traverser le lendemain matin. 

Manque de chance, le seul " Hostel " de la ville a été réquisitionné pour les réfugiés Ukrainien. On décide donc de traverser dès ce soir.

Mais de l'autre coté, rien pour dormir, sauf à faire un détour de 10 km. Il est tard. Tant qu'à rouler encore 10 km, autant avancer dans la bonne direction. Nous faisons le plein d'eau et montons dans la campagne, à la recherche d'un bivouac pour la nuit.

Nous trouvons un joli pré tout juste fauché, à l'écart de la petite route. Parfait ! On attendra la tombée du jour pour monter la tente.


Mardi 6 juin

La nuit a été merveilleuse. Se sentir seuls au milieu de nulle part, au milieu d'une nature accueillante qui nous protège des regards... Le bonheur !

La prochaine fois, on se méfiera quand même des midges, et aussi des tiques, qu'on a embarquées au passage. Désormais, chaque soir ce sera inspection des tiques !

Nous mettons aujourd'hui le cap sur Doolin, où nous devons croiser nos amis Sylvie et Gérard. Notre route passe par les Cliffs of Moher, spectaculaires falaises grises, et aussi attraction touristique majeure.

Cliffs of Moher. Son parking, ses touristes.



Nous y laissons un petit mot pour les cousins de Béatrice qui doivent passer par ici en juillet...

May the force be with you !

Très jolie descente sur Doolin, où nous campons ce soir.

Demain, direction les îles d'Aran.

Doolin



Cliffs of Moher, depuis Doolin

Récap

  • mercredi 31 mai - 58 km - Cork - Kilcorney
  • jeudi 01 juin - 53 km - Kilcorney - Killarney
  • vendredi 02 juin - 65 km - Killarney - Dingle
  • samedi 03 juin - 50 km - Dingle - Dingle
  • dimanche 04 juin - 53 km - Dingle - Tralee
  • lundi 05 juin - 68 km - Tralee - ???
  • mardi 06 juin - 58 km - ??? - Doolin


<- Précédent

Suivant ->

Commentaires

  1. Les photos et les commentaires sont un régal ! On attend avec impatience la suite du feuilleton. Voilà pourquoi ça ne me manque pas de voyager : je vois et je découvre tout par vos yeux et pour moi c'est essentiel et suffisant. (il faut de tout pour faire un monde, non ?)
    Tantiglou

    RépondreSupprimer
  2. 👍👍ce sera un plaisir de vous rencontrer en Islande si cela est possible. Nicole

    RépondreSupprimer
  3. Merci pour les photos et commentaires qui nous font voyager. Quelle belle aventure dans ces contrées lointaines.
    Patricia

    RépondreSupprimer
  4. Merci de partager votre aventure irlandaise (avant qu’elle ne devienne islandaise en changeant tout simplement de consonne 😉).
    Merci aussi pour la soirée partagée à Ballycastle (Alain transcrira en gaélique pour plus de dépaysement 😊).
    Et à demain matin pour l’irish breakfast…
    Have a good night…
    Ronan

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tapadh leibh Ronan airson a bhith a ’roinneadh, agus gad fhaicinn a dh’ aithghearr ann an Saint-Gregoire... Agus tapadh leibh eadar-lìn airson an eadar-theangachadh !

      Supprimer

Enregistrer un commentaire