14 - Sprengisandur ... Dur !


Piste F26 - derrière, le glacier Tungnafellsjökull

Vous aimez la solitude, le contact avec les éléments, la vie au grand air, la débrouille l'effort physique, le vent contraire, le froid ? La piste F26 est faite pour vous !


Pour traverser le pays, il y a deux pistes : la piste du Kjölur (F35) et la piste du Sprengisandur (F26). Nous avions emprunté la F35 il y a 4 ans. Donc cette année nous tentons la F26.

320 km dont 240 km de piste nous attendent, avec un seul refuge à peu près au milieu, mais qui ne fait pas restaurant. En se basant sur notre précédent voyage et avec une petite marge de sécurité, on a compté 8 jours.

Ce que nous n'avions pas anticipé, c'est que vent contraire, tempétueux et glacial + dénivelé important + piste sablonneuse + vélos pas adaptés, ça fait beaucoup. 

Pour tout vous dire, c'était un peu au dessus de nos moyens...

D'ailleurs, ça a failli tourner en eau de boudin.

Mais nous n'en sommes pas là.

Pour l'instant ça rigole...

Mercredi 12 juillet

Les 80 premiers kilomètres sont encore sur route asphaltée. L'altitude grimpe tranquillement. Le vent de face est sensible, mais nous n'allons pas vite. Et le soleil compense en partie la sensation de froid.


12/07/2023 - Paysage de lupins en rejoignant la F26 (au fond le volcan Hekla)

Nous faisons étape à Hrauneyar, dernier endroit " civilisé " avant d'entrer dans le grand désert. Bon repas ce soir, bonne nuit dans un lit confortable. 

Et surtout : petit déjeuner gargantuesque, compris dans le prix. Heureusement d'ailleurs, parce que 200 euros pour une chambre grande comme une cabine de bateau... Enfin bon. Personne ne nous oblige, et au moins les batteries sont rechargées, au propre et au figuré.

Jeudi 13 juillet

Après Hrauneyar, c'est la fin de l'asphalte et le début de la piste : la route 26 devient la F26.

Nous savons que Séraphine et Rouletabille ne sont pas adaptés à ce terrain. Nos pneus sont des pneus de route, et les suspensions n'effacent que modérément la tôle ondulée.

Bonne surprise : en dégonflant un peu les pneus, on améliore nettement le confort, et du coup, pour le moment, ça roule pas trop mal.

Autre constat : avec les vibrations, tout se desserre. Rouletabille a failli perdre un frein, et Séraphine le galet du tendeur de chaîne. J'ai de la colle forte dans la trousse à outils. Dorénavant, toute vis qui se desserre sera revissée à la colle. Non mais !

13/07/2023 - Lac Þórisvatn - Le plus grand d'Islande

13/07/2023 - Paysage désert -F26

Il est midi. Le vent se lève et le relief s'accentue. La piste ondule, monte et descend, saute de colline en crête. Tout cela devient fatiguant. L'allure ralentit. Et le vent forcit.

A chaque crête on se dit : " voyons voir ce qu'il y a derrière. ". Et derrière il y a ... une autre crête un peu plus haute. Et ça continue. 

Interruption de l'asphalte...

Traces de la Guerre des mondes ?



Entre Hrauneyar et le prochain refuge (Nyidalur), il y a plus de 100 km. Entre les deux : rien. Nous avons prévu de couvrir cette distance en 3 jours. Mais encore faut-il trouver des endroits à peu près abrités pour y planter la tente.

Au bout de 50km, nous commençons à trouver le temps long. Il est presque 6h du soir. Aucun abri en vue.

Et comme presque toujours dans ces cas-là, la solution arrive toute seule : au loin, quelques bâtiments au bord d'une rivière. C'est un hébergement privé qui accueille des groupes (Versalir). Il ne figure pas sur la carte Cycling Iceland

Il n'y a personne. Les bâtiments sont fermés. Nous montons la tente sur la terrasse en bois devant le bâtiment : sol parfaitement plat. C'est déjà ça !

Le vent a faibli ce soir. Bonne nuit au chaud emmitouflés jusqu'au coup dans nos duvets, malgré la température bien fraîche (6°).



Qu'y-a-t-il derrière cette crête ?

Versalir

Bivouac sur une terrasse en bois, à Versalir (il n'y a personne)

C'est pas passé loin...

Vendredi 14 juillet

(Bon anniversaire Tiphaine)

Ce matin, pas un souffle de vent. Nous écoutons le silence...

Hier nous avons fait la moitié du chemin jusqu'à Nyidalur. On se dit qu'on va faire la deuxième moitié aujourd'hui, même si on arrive tard.

Mais le vent se lève bientôt, et il souffle plus fort qu'hier. Plus de soleil pour atténuer la sensation de froid. Et la piste qui continue de monter beaucoup et descendre un peu...

Très vite, on se rend à l'évidence : nous ne serons pas à Nyidalur ce soir.

Sur la carte Cycling Iceland, il y a une petite hutte non gardée à 20 km d'ici (Ölduver). Nous décidons d'y aller pour y faire étape et attendre que le vent faiblisse.

Malheureusement, nous ne l'avons jamais trouvé. On apprendra plus tard qu'elle n'existe pas.

Plus qu'une solution : continuer.

Le vent forcit encore, toujours de face. Et à présent, la piste est tellement sablonneuse que nous ne pouvons plus rouler. Chaque tentative de se remettre en mouvement se termine par une chute. Il faut pousser nos vélos de plus en plus souvent, et de plus en plus longtemps.

Le vent souffle maintenant en tempête et soulève le sable. Je l'entends qui crépite sur mon casque, alors que je pousse mon vélo le visage tourné vers le sol. J'en ai plein les oreilles, Béatrice en a plein les yeux. 

Plus tard on découvrira que ce mélange de poussière ocre et de sable noir s'est insinué partout jusqu'au fond de nos sacoches, pourtant bien fermées.

De temps en temps, je m'arrête et je lève les yeux pour regarder autour de moi. Je cherche un abri. Mais je ne vois rien qui puisse accueillir notre tente. 

Le paysage est littéralement lunaire, immense et presque monochrome. Au loin à gauche, le grand glacier Langsjökull scintille. Le lac glaciaire Kvislavatn, aux nuances bleues-vertes,  s'étale au devant. À droite, les nuages bas descendent et avalent petit à petit les crêtes cendrées. Derrière nous, le volcan Hekla s'enfonce lentement sous l'horizon. Et devant, on aperçoit de temps à autre la grandiose silhouette de l'Askja, lui aussi enneigé. L'horizon à l'est est souligné d'une barre blanche : le Vatnajoküll, le plus grand glacier d'Islande.

Mais nous n'avons pas le cœur à contempler le paysage. 

Le vent hurle et crépite. Tête baissée et épaule contre le sac sur le porte-bagage, je pousse mon vélo. Je repense à " La horde du contrevent ", le roman d'Alain Damasio. Sur un monde imaginaire, un vent d'une violence inouïe souffle constamment, toujours dans la même direction. Il est si dense qu'il peut littéralement éplucher un homme qui s'y exposerait. Des hordes partent les unes après les autres, avec mission de chercher l'origine du vent. Toutes échouent, décimées par les furvents. La 34ème y parviendra-t-elle ? Quête de l'inutile...

Il est 16 heures. Nous avons fait 22 km. Il en reste 35 avant le refuge de Nyidalur. Au train où nous allons, on va y passer la nuit...

Dès grains de succèdent. Ça doit être ce que les voyageurs appellent la pluie horizontale : l'eau ne tombe pas, elle passe.

Le moral est toujours bon. Nous ne paniquons pas car nous savons que de toute façon une solution viendra, quelle qu'elle soit. 

Dans ma tête, Bernard Lavilliers déclame : Tout finit toujours par s'arranger. Même mal.

Nous avons tous les deux accepté l'idée d'y passer la nuit. On ne se sait pas comment, mais peu importe. Pour le moment, le mieux est d'avancer.

Faire du stop est sans espoir. Il y a très peu de circulation sur cette piste et de toute façon les 4x4 qui nous dépassent sont déjà bien chargés.

Béatrice arrête tout de même un couple d'allemand en Land-Rover qui va dans le même sens que nous. Ils n'ont pas de place mais nous proposent d'emmener nos bagages jusqu'au refuge. Mais se séparer de nos bagages dans ces conditions est la dernière chose à faire... Béatrice leur demande seulement de prévenir le refuge. Nous savons alors que des rangers viendront à notre secours.

Il est 19 heures. Les rangers n'arrivent pas. Je vois un petit renfoncement vaguement à l'abri et sablonneux. Nous tentons d'y planter la tente. Au bout d'une heure, le froid nous gagne. Nous renonçons. Ça ne tiendra pas et au pire nous risquons de tout déchirer. Nous bouchonnons tant bien que mal la tente pleine de poussière dans la sacoche et nous repartons.

Ne pas s'arrêter. Et rester sur la route. C'est la seule chose à faire. Les rangers finiront bien par arriver.

21 heures. Nous nous arrêtons sous l'abri précaire d'un rocher pour manger une pomme et deux cracottes. Une jeep s'arrête - un jeune couple parlant anglais. Ils nous expliquent que nous sommes effectivement attendus au refuge, que les rangers sont effectivement partis nous chercher, mais qu'ils ont fait demi-tour au bout de 25km (nous étions sans doute encore un peu plus loin.) Ils me donnent le numéro du refuge. Je me mets à l'abri dans la jeep pour appeler. Je m'explique. Cette fois c'est sûr : les rangers repartent à notre rencontre et deux lits nous attendent.

Nous nous remettons en route, pour lutter contre le froid.

22 heures 45. Les rangers arrivent. Nous avons fait 36 km, dont 20 en poussant les vélos. Nous chargeons les vélos dans le pick-up et faisons les 22 derniers km au chaud dans la voiture, sans plus nous soucier de rien.

Il est 23 heures 30 quand nous arrivons au refuge, un peu penauds. Inka nous attend avec un bon chocolat chaud, et deux tabourets près du poêle...

Dehors, il tombe de la glace. Température : 3°. Le vent n'a pas faibli.

Finalement, on aura bien fait le trajet en deux jours... Mais pas comme on l'imaginait. Et on ne recommencera pas !

Inka (la gardienne du refuge) nous a donné l'explication : lorsque les rangers sont revenus sans nous avoir trouvé, elle a eu l'intuition que ce n'était pas normal. C'est elle qui a demandé à la jeep venant dans notre direction de nous communiquer le téléphone du refuge. Lorsque nous avons appelé, elle a su qu'elle avait vu juste !

Pour l'anecdote, les passagers de la jeep voulaient passer la nuit au refuge, mais ils sont repartis parce qu'ils trouvaient que c'était trop cher...

Tout finit toujours par s'arranger.

Merci Inka, pour l'intuition, pour nous avoir attendu, et pour l'accueil chaleureux.

Merci les prix trop chers au refuge de Nyidalur !

Merci les Rangers, pour le dévouement et la bienveillance.

Merci la Jeep, merci le Land-Rover.

... Et merci la couverture réseau islandaise !

Leçons apprises : Mieux anticiper les points de chute. Bien étudier la météo. Avoir du temps devant soi pour pouvoir attendre des conditions favorables. ... Et en cas de souci, ne pas hésiter à faire le 112 !!! Et oui, on n'y a même pas pensé...

Anges gardiens

Les Rangers islandais sont formidables, tout en dévouement et modestie. Ils auraient pu chipoter, critiquer notre imprudence, nous faire la morale, nous dire des vous auriez dû et des vous n'auriez pas dû. Ils n'ont rien fait de tout cela. Ils nous ont juste secouru. Avec gentillesse.

l'Islande est un pays rude. Des personnes en difficulté, il y en a tous les jours. Les secourir est juste naturel. Aider est une fierté. Même si ce sont des touristes - que les Rangers appellent d'ailleurs leurs invités. Ils préfèrent se déplacer pour rien plutôt que de gérer des situations compliquées. Toute une culture...

Le matin du 14, en quittant Versalir


Lac Kvislavatn

Nos sauveurs...

Cocooning et papotages

Samedi 15 juillet

Aujourd'hui, c'est repos. Nous devons récupérer le surplus d'énergie dépensé hier.

Le vent ne faiblit pas et ça va durer encore deux jours. Nous ne mettons pas le nez dehors... Sauf pour aller aux toilettes, qui malheureusement sont à l'extérieur du refuge.

Le refuge de Nyidalur est spartiate, mais pour nous il vaut un palace. Et Inka est si prévenante... Dans la cuisine, un poêle chauffe en continu. Il y a dessus une grosse marmite d'eau bouillante en libre-service. Assis dans la salle commune, nous sirotons des cafés bien chauds...

Béatrice dessine, j'écris. 

Nous discutons avec d'autres voyageurs lents comme nous. Pendant ce temps les baroudeurs en 4x4 entrent, prennent un café vite fait, et repartent. Chacun son truc...

Il y a Myrtille et Louis, jeune couple de Liège, rescapés comme nous... Mais eux ils sont à pied ! En année sabbatique, ils voyagent un peu partout. Nous comparons nos équipements. Nous sommes étonnés de les voir presque plus chargés, que nous (30 kg chacun). Et bien sûr, ils portent tout sur le dos. Respect !

Il y a aussi Sarah et François, de Tournai, en Belgique aussi. Eux sont adeptes du bikepacking, leurs bagages sont réduits au minimum. Dans un pays comme l'Islande, et tout particulièrement sur cette piste désertique, c'est un vrai challenge. Ils font le trajet en sens inverse de nous, donc avec le vent favorable, les veinards... Plus tard, François nous apprendra qu'ils ont été poussés presque tout du long comme de vrais chars à voile.

Inka nous a placés tous dans le même dortoir.

Et enfin Anna, joviale et enthousiaste australienne de Tasmanie, qui va aussi à pied... et en solitaire ! Elle semble tout prendre à la rigolade et pourtant elle est très organisée : elle se fait livrer à l'avance des ravitaillements pour limiter son chargement. Elle a posé sa tente à coté du refuge, en plein vent... Demain, nous la regarderons partir d'un bon pas, piquer droit dans la montagne tandis que nous serons encore au chaud dans la salle commune...

Merci Anna, Myrtille, Sarah, Louis, François pour les rencontres, pour ces bons moments passés à discuter de nos vies, des sujets qui nous passionnent. Merci d'être qui vous êtes.

Refuge de Nyidalur

Les véhicules des rangers

Glacier Tungnafellsjökull, près du refuge

Prolongations

Dimanche 16 juillet

(Bon anniversaire Quentin)

Nous avons décidé de rester encore une journée. La météo est encore mauvaise... et ce lieu tellement chaleureux... Mais attention danger ! Plus on reste, plus ça va être dur de se remettre en route...

Pour ne pas oublier qui nous sommes et ce que nous sommes venus faire ici, nous allons faire un tour à pied dans les environs. Quelques trouées de soleil font de jolies lumières sur les parois enneigées du glacier Tungnafellsjökull. De l'autre coté, le Langsjökull, majestueux, brille sous le soleil.

Au refuge, Auður, la Ranger qui nous a recueilli vendredi soir sur la piste, distribue ses conseils aux randonneurs : meilleures routes, possibilité de bivouac, points d'attention, etc... Elle parle avec douceur et bienveillance, en tenant compte des envies et des possibilités de chacun. Elle n'oublie pas non plus de glisser ça et là les règles de prudence et de bonne conduite, mais jamais elle ne moralise. Tout le monde l'écoute en silence.

Nous lui montrons sur notre carte Cycling Iceland la hutte où nous devions faire étape vendredi, et celles où nous voulons faire étape les 2 prochains jours. Elle se renseigne : elles n'existent pas ! (ou plus...)

Du coup, elle n'est pas contente : cette carte imprécise (soit disant remise à jour en 2023) peut mettre les voyageurs en difficulté et les secours avec !

Elle nous conseille sur la meilleure route à prendre pour rejoindre Akureyri et sur les endroits où nous pourrions trouver des abris naturels pour poser notre tente.

La météo va s'améliorer, nous repartons demain.


Petite rando à coté du refuge

Piste F26. Au fond le glacier Langsjökull

Nyidalur

Repartir, c'est partir

Lundi 17 juillet

Hier soir nous étions seul dans notre dortoir. Nous avons pu préparer nos affaires, remettre chaque chose à sa place (c'est important) afin de s'endormir serein.

Pourtant, nous avons mal dormi... Le bruit de la pluie sur le toit ? Le vent encore puissant ? Le souvenir de notre petite aventure de vendredi ?

Nous ne sommes peut-être pas si sereins que ça, au moment de quitter Nyidalur et toutes ces personnes si bienveillantes. 

Repartir, c'est comme partir. Même après seulement deux jours d'arrêt, tout est à refaire. Il faut quitter sa zone de confort, ne pas laisser enfler ces petites pensées négatives, ces petits oui mais qui créent du stress inutile, contenir cette petite boule au ventre qui veut grossir, reconstituer sa bulle, s'installer dans le présent... S'asseoir sur le vélo et pédaler. 

Et là, miracle : ça marche ! La boule disparaît, la machine se met en route, comme un autobus qui prend son service le matin. Tout est réglé. Tout est en place. Le corps se détend, l'esprit s'apaise, les jambes tournent. On est CONTENTS !

Mais je vais trop vite. Ça s'est passé comme ça mais pas dans cet ordre.

Au moment de partir, Inka propose que la " rescue team ", arrivée la veille au refuge, nous fasse passer les deux gués qui nous attendent pas très loin. Le premier est généralement assez bas, mais le second, à 10 km, peut être assez compliqué car il dépend de la fonte du glacier (le Tungnafellsjökull) qui est juste au dessus. Béatrice dit oui tout de suite. 

Dans le gros 4x4 orange fluo, il n'y a de la place que pour un seul vélo. Qu'à cela ne tienne, nous ferons deux tours ! 

Encore merci nos anges-gardiens !

Finalement, le second gué était presque à sec : le glacier ne fond pas, il fait trop froid.

Maintenant ça y'est. On s'est remis en route. Le vent - toujours contraire - est encore puissant mais ce n'est rien à coté des jours précédents. Le froid reste vif, mais le mouvement suffit à nous maintenir en température.

Cette seconde moitié de la F26 est moins fréquentée. Du coup, la piste est un peu moins défoncée, mais il reste quand même quelques pièges à éviter. Nous restons concentrés sur la trajectoire : Cette ornière est-elle fiable ? Cette belle surface lisse cache-t-elle un paquet de sable ? Ces cailloux vont-ils rouler sous nos pneus ?

Les enfilades de montées/descentes reprennent. Toute la journée nous resterons presque à la même altitude que le refuge, mais sans jamais pédaler sur du plat.

Nous croisons très peu de véhicules. 

Normal : sur cette piste il n'y a aucune " attraction touristique ". Pas de couleurs flashy, pas de rivières bouillonnantes, pas de trous fumants ou éructants... juste de la poussière, des immensités de cailloux gris sur fond de glaciers. Et le ciel bas et lourd, presque posé sur le sol.

Un minibus haut sur pattes trimbale et secoue des touristes qui dorment. Tout ce diesel parti en fumée pour des gens qui dorment... En même temps, on les comprend. L'horizon se rapproche si lentement, et il doit faire chaud à l'intérieur... Pendant ce temps, le chauffeur conduit. Il fait le job pour lequel il est payé... Est-il heureux et fier de son métier ? Ou bien pense-t-il à l'absurdité de la situation ?

Pédaler attise les pensées, comme le soufflet d'une forge.

Le paysage est toujours aussi lunaire, mais progressivement le plateau ondulé se fait vallée, des pentes se dessinent à gauche et à droite, la rivière qui coule au fond grossit petit à petit.

Il est 16h. Nous ne voyons pas le temps passer. Nous nous mettons à la recherche d'un bivouac abrité pour la nuit.

Au passage d'un gué, une petite zone vaguement herbeuse, pas trop ventée, au bord d'un cours d'eau : c'est parfait. Pas besoin de chercher plus loin. Le " camp " est bientôt monté. 

Nous commençons à apercevoir le fond de nos réserves de nourriture. Ces 2 jours imprévus au refuge nous ont obligé à taper dans les stocks. Mais le "placard" de Béatrice a des tiroirs secrets...

Dans la nuit, le vent a un peu tourné, et du coup il prend notre petit îlot de tiédeur par le travers. On dort tout habillé, le duvet zippé jusqu'en haut, et la tête emmitouflée. Ça secoue pas mal, mais ça tient.

Joli bivouac au passage d'un gué. Le camouflage de la tente est dû à la poussière ramassée 3 jours avant, en essayant de la monter en pleine tempête avant Nyidalur



Il y a de l'eau sur la lune !!!

Selfie à la pomme

Mardi 18 juillet

Il reste environ 70 km de piste avant de retrouver " la civilisation ". C'est trop pour une journée, même si on s'attend à de la descente.

On va donc tailler deux tiers / un tiers : 40 à 50 km aujourd'hui, et on garde le reste pour demain, ce qui nous laissera du temps pour ne pas revenir trop vite dans le monde des hommes...

Mais la plongée finale n'arrive toujours pas. Encore ces interminables montées / descentes. Le Garmin prétend que ça descend quand même un peu. On voit bien que ce n'est pas lui qui pédale !

Ce midi, nous avons un " direct " avec l'EHPAD de Rouillon. Nous sommes toujours en plein désert et la couverture réseau n'est plus aussi bonne que dans le parc du Vatnajökull. On trouve une petite " bulle de 4G " de quelques mètres. Ça marche... Ma maman est là aussi. Notre auditoire est curieux, les questions fusent. Mais le froid nous gagne... Nous raccrochons, une fois les questions épuisées. 

L'après-midi s'avance. Et voilà maintenant que le brouillard tombe. On ne voit plus rien. 

Pour cette dernière nuit de désert, nous trouvons un petit coin abrité en contrebas de la route. De toute façon, le vent est tombé en même temps que le brouillard.

Il n'y a pas d'eau ici, mais nous avons refait nos réserves à la rivière ce matin. Dernières nouilles instantanées, dernières tranches de pain de mie, derniers carrés de chocolat...

Nuit au calme, entourés de silence. Dehors le froid humide, dedans la faible chaleur corporelle au fond de nos duvets... Bonheur.


Tiens ? Une colonne sèche ici ?

Un petit cadeau de notre ami Jacques... 

Hello les amis,

Alain Damasio l'a imaginé... Alain et Béa l'ont fait !
Bravo les amis pour votre persévérance et merci pour ce récit épique
Petite récompense ci-joint (depuis la maison... bien au chaud et à l'abri du vent !

Jacques

Vive la civilisation

Mercredi 19 juillet

Ce matin, c'est café et avoine diluée dans de l'eau, et un fond de confiture avec les dernières tranches de rúgbrauð (pain de seigle islandais, cuit à la vapeur).

Si la carte Cycling Iceland ne nous ment pas, ce soir nous sommes de retour dans la civilisation. Plus que 30 km de piste. Et la descente qui arrive enfin ! Mais pas question de lâcher les freins. On sent encore parfois quelques traîtrises sous nos roues. Et puis il y a encore des raidillons qui traînent par-ci par-là...

La végétation réapparait, puis les moutons, puis les champs, parsemés de chamallow blancs... Et même des tracteurs dans les champs, en train de retourner le foin tout juste fauché. Voilà maintenant les premières habitations, des fermes aux toits colorés.

Nous prenons le temps de nous arrêter aux puissantes chutes d'eau qui jalonnent la rivière : Hrafnabjargafoss et surtout Aldeyjarfoss. Elles entaillent violemment la couche de basalte, faite de crayons hexagonaux aux arêtes vives. Certains sont tordus, ou tombent dans le fond. Même géologie que Giants Causeway en Irlande du Nord, mais en plus jeune, moins érodé. 

Ces cascades sont beaucoup moins connues que Godafoss, mais d'autant plus belles à nos yeux, car nous sommes allés les chercher à coups de pédale...

4 km après Aldeyjarfoss, la F26 devient la route 842. Toujours pas d'asphalte, mais une croûte presque aussi dure, et presque aussi lisse. D'ailleurs, des camions sont en train de la refaire : Ils répandent des cristaux qui ressemblent au sel qu'on met sur le verglas, puis aspergent de l'eau, puis passent et repassent pour laminer la surface. Le séchage fait le reste.

Mais pour le moment, la route n'est qu'un ruban de boue marron et glissante. Pour une fois que c'était plat... 

La carte ne nous a pas menti. Et l'étape de ce soir est même au dessus de nos attentes : Kidagil est une " guest house ", un hôtel-restaurant avec un champ derrière où on peut poser la tente. Ce n'est pas cher du tout, et on peut profiter de toutes les commodités de l'hôtel : toilettes, douche dans une vraie salle de bain... Bon plan !

Et comme nos réserves sont pratiquement à sec, ce soir c'est resto et demain le buffet petit-déjeuner.

Vive la civilisation !

Hrafnabjargafoss

Aldeyjarfoss



Retour dans le monde des hommes



Béatrice et Alain, après la traversée du Sprengisandur

Guest House de Kidagil

Séraphine et lupins

Jeudi 20 juillet

Les 20 derniers kilomètres de la route 842 sont un vrai bonheur : la croûte est sèche et lisse, la pente légèrement descendante compense le vent de face qui a bien faibli. Et en plus, le soleil annule la sensation de fraicheur.

Les bonnes choses ont une fin : nous débouchons sur la route 1, la fameuse route circulaire. Flot continu de camions, bus, 4x4, camping-cars, etc... roulant vite et ne s'écartant pas toujours. Nous n'avons pas le choix.

La fameuse chute d'eau de Godafoss est juste à coté. C'est spectaculaire, mais Alderjafoss est bien plus belle, et moins visitée car accessible seulement en 4x4 (ou à vélo, hé hé !).
Godafoss

Ce soir, nous nous écartons de la route 1 pour chercher un petit camping au calme. Et puis nous devons refaire un peu de provisions...

Coté camping, tout va bien : le camping de Systragil est ce qu'il nous faut. Tranquille (quoique... on va en reparler), belle herbe verte, petit sanitaire propre, douche chaude, petite cuisine...

Coté provisions, ça ne va pas du tout : Cycling Iceland a encore fait des siennes. Le convenience store signalé par un rond jaune sur la carte n'existe pas. Je reprends le vélo et vais jusqu'au club house d'un terrain de golf, 3km plus loin. Il y a bien quelques petites choses à manger sur place, mais pas à emporter. Je m'explique, on s'arrange : les gentilles étudiantes qui servent au comptoir se débrouillent comme elles peuvent pour m'emballer deux sandwiches, deux parts de gâteau et deux spécialités islandaises dont elles m'ont dit le nom (mais j'ai oublié). 

Il y a toujours une solution...

Nous sommes sur le point d'éteindre la lumière quand, sur le coup de 22h, branle-bas de combat : débarquement d'un groupe de polonais en 4x4. Nous nous retrouvons au milieu d'un village. Pour un peu, leur fil à linge passait au dessus de notre tente.

Fini le petit camping bucolique, bienvenue dans le monde du sans-gêne... Mais heureusement, ils avaient eux aussi envie de dormir...


La route 842, en croûte de sel


Nicolas et Pimprenelle prennent le frais

Selfie groggy mais content

Village polonais installé pendant la nuit (notre tente est au milieu)

Le bonheur des choses simples

Vendredi 21 Juillet

Akureyri est de l'autre coté de la montagne, à 10 km à vol d'oiseau. Il y a un tunnel pour passer dessous, mais malheureusement il est interdit aux vélos. Pour nous, cela fera 37 km et un col à gravir.

Heureusement, il fait beau. La route est jolie, bien profilée et calme. On prend le rythme et on monte tranquille. De l'autre coté, changement de temps : une mer de nuage nous cache la baie d'Akureyri. Nous plongeons bientôt dans le brouillard. Retour dans le froid glacé...

Akureyri est une jolie petite ville assez touristique. Dès croisièristes du grand nord y font étape, mais ils ne restent pas longtemps.

Nous refaisons un peu de provisions au supermarché " Bonus ", les premières depuis notre départ d'Hella il y a 10 jours... Ce soir, c'est légumes frais, Skyr à la crème brûlée, pain, beurre, confiture, chocolat...

10 jours d'inconfort (relatif), et les choses les plus ordinaires deviennent un bonheur...

Nous faisons la connaissance de Guillaume, motard lillois, qui vit sa première expérience de voyageur solitaire. Nous passons une bonne partie de l'après-midi dans la salle commune du camping, à discuter.

En haut du col



Akureyri (enfin...)


Monde déboussolé...

Samedi 22 Juillet

Aujourd'hui, c'est shopping. La traversée du pays a révélé quelques faiblesses dans notre équipement. Évidemment, ici tout est très cher mais au moins on trouve des choses de bonne qualité, adaptées au climat. Et si tout va bien on sera remboursé des taxes à l'aéroport.

22/07/2023 - Akureyri - l'échoppe du glacier

Le camping d'Akureyri est une usine. Les caravanes et les gros 4x4 américains des islandais, les Dacia et les camper-vans des touristes font la queue à l'entrée jusqu'à 11h du soir.

Le camping est assez mal tenu. Il y a plus de monde à la caisse qu'à l'entretien des sanitaires... 

La salle commune est mal équipée, petite, bondée et bruyante. Mais elle a le mérite d'exister...

Cette fois, nous avons bien réfléchi au choix de notre emplacement, pour éviter de nous retrouver au milieu d'un village... C'est presque réussi : nous n'avons subi que les bruits de moteurs des campings-cars qu'on laisse tourner pour se réchauffer... Tout en laissant les portes ouvertes pour ne pas s'asphyxier...

Monde déboussolé...

Dimanche 23 Juillet

Bientôt 3 semaines que nous sommes en Islande, et c'est une éternité.

Nous planifions la suite du voyage, en tenant compte cette fois de nos aptitudes. Pour le dire autrement, nous ne sommes pas prêts à repartir pour 200 km de piste...

Si tout va comme on veut, nous allons faire la dernière semaine " en touristes ". Nous allons louer une voiture, ici à Akureyri, ce qui nous permettra de rentrer à Keflavik tout en visitant. 

Et oui, tout arrive, il ne faut jamais dire jamais...

On espère aussi aller voir l'éruption de près, si c'est possible.

D'ici là, l'idée est d'aller à Myvatn, puis - peut-être - une excursion guidée au volcan Askja, puis un tour vers les falaises du nord-est.

Cueillis à froid

Cette traversée sud-nord du pays par la F26 nous a - c'est le cas de le dire - cueillis à froid. Nous avons senti nos limites, et en même temps nous sommes très heureux d'avoir réussi ce challenge physique et mental (à notre échelle), avec nos vélos inadaptés*. Ça va peut-être vous paraître prétentieux, mais on en est fier.

*J'entends Séraphine et Rouletabille : inadaptés, inadaptés, ... inadaptatés vous-mêmes, bandes d'humains !

Vivre dans cet environnement lunaire, gris, froid et désolé, pendant plus d'une semaine est une expérience unique. Nous apprenons que l'Islande ce n'est pas seulement les belles couleurs, les oiseaux, les sources d'eau chaude, les geysers, les lagons bleus et les beaux paysages. C'est aussi cela : du rien, du froid, de la poussière et du vent. Pendant des jours. Et nous avons aimé ça.

Nous ne faisons pas le même voyage qu'il y a 4 ans, et c'est très bien ainsi.

Récap

  • mercredi 12 juillet - 68 km - Hella - Hrauneyjar
  • jeudi 13 juillet - 52 km - Hrauneyar - Versalir
  • vendredi 14 juillet - 36 km - Versalir - Nyidalur (+20 km en 4x4)
  • samedi 15 juillet - 0 km - Nyidalur (repos)
  • dimanche 16 juillet - 0 km - Nyidalur (repos)
  • lundi 17 juillet - 35 km - Nyidalur - ??? (+10 km en 4x4)
  • mardi 18 juillet - 46 km - ??? - ???
  • mercredi 19 juillet - 28 km - ??? - Kidagil
  • jeudi 20 juillet - 50 km - Kidagil - Systragil
  • vendredi 21 juillet - 47 km - Systragil - Akureyri
  • samedi 22 juillet - 20 km - Akureyri (repos)
  • dimanche 23 juillet - 10 km - Akureyri (repos)

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Commentaires

  1. Les aquarelles de Béatrice sont bien plus colorées que les paysages lunaires traversés ! Chapeau bas pour l'épreuve traversée.

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  2. vincent le facteurdimanche, 23 juillet, 2023

    Chapeau bas et vélo couché. Béatrice , prends bien soin du cœur de ton homme !

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  3. Vôtre récit est un régal... Ça donne envie d'y être... Je vous envie... Même si j'aurais beaucoup de mal à faire ce que vous avez fait.
    Bonne continuation
    Isabelle

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  4. Impressionnant et presqu 'inimaginable! Bravo,! Vous pouvez être fiers même si vous avez un peu "tenté le diable".
    En tout cas c'est très bien raconté et illustré, comme d'habitude.
    Merci de nous faire découvrir cette Islande de l'intérieur .
    L'exploit est certain et le reportage mérite d'être primé.
    Vous avez bien mérité une semaine plus touristique. Profitez en bien! On vous embrasse.

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  5. Quand j'ecris bien illustré, je pense aux photos mais aussi aux aquarelles de Béatrice qui " apportent sérénité et légèreté à cet univers impitoyable " commente Robert

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  6. Incroyable ce que vous avez vécu et accompli. Bravo à vous pour ce beau dépassement de soi physique et psychologique. Votre aventure est encore une fois très bien racontée et illustrée. J'ai adoré lire cet article! Bravo les aventuriers
    Mathilde

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