03 - La grande promenade


Longs tunnels de verdure
Transpercés de lumière
Ou voies d'eau qui perdurent
Couleurs, senteurs, vieilles pierres
La lande bretonne tranquille
Devant nos yeux défile
Ah le joli voyage
Au pays des vieux mages

 

Jeudi 18 mai - jour J

Ce matin est un matin comme les autres : debout à la sonnerie du réveil, baguette fraîche au petit déjeuner... Et pourtant tout à l'heure on basculera dans un autre monde. Un monde rien qu'à nous, fait de coups de pédales, de pays traversés, de senteurs printanières, de nuits sous la tente, de regards tendres, de nouilles cuites à l'eau... De petits plaisirs aussi : pause goûter dans une boulangerie de campagne, petit café en terrasse, soirées à la fraîche bien calés dans nos chaises pliantes (et non... on ne les a pas oubliées !).

L'an dernier, l'entrée dans le grand bain avait été progressive : nos premiers kilomètres étaient jalonnés d'étapes amicales et confortables. Cette fois, le plongeon est plus direct. Sauf samedi où nous serons à Bruz chez notre fille Tiphaine. Il y a aussi une petite rencontre prévue, dimanche à Guipry, sur la voie verte Rennes-Redon (j'en reparlerai).

10 heures. Le moment du départ. Quelques amis et voisins sont venus nous saluer. Peu nombreux car c'est le week-end de l'ascension. Distribution des clés, dernières consignes, photos, salutations, encouragements... 

Tour de clé dans la porte, premiers coups de pédales, et voilà : c'est parti. Retour dans presque 5 mois si tout va bien. C'est aussi simple que cela...

Les premiers kilomètres, nous les connaissons par coeur : route des fontaines, chemin botanique, Pruillé-le-chétif, Saint-Georges... C'est notre terrain de jeu. Pour un peu, on se croirait en petite ballade dominicale. Yorik et Éliane nous accompagnent sur quelques kilomètres. Puis ils font demi-tour et nous quittent. 

La grande promenade commence.

Promenade. 

Le mot n'est pas choisi au hasard : nous ne sommes ni des aventuriers, ni des sportifs, juste des promeneurs qui vont loin, lentement.

Les gens avec qui nous discutons sur la route ouvrent de grands yeux quand nous leur expliquons notre voyage. Ils nous souhaitent du courage, et nous envient sans doute un peu.

Pourtant, pas besoin de courage, puisque nous avons choisi. Ce qu'il nous faut, c'est du temps, juste du temps rien qu'à nous. 

Première nuit de camping à Villiers-Charlemagne (Mayenne). Un concept qu'on ne voit pas souvent : chaque emplacement est doté d'un sanitaire privatif et d'une mini-cuisine. On en profite. Camping d'accord, mais camping confort !

Les habitudes du voyage reviennent. Les mêmes gestes, les mêmes routines : monter la tente, gonfler les matelas, dérouler les duvets, cuire les nouilles, manger, se doucher, écrire ou dessiner, lire et dodo.

Pareil pour les affaires : petit à petit, elles prennent leur place définitive dans les sacoches, celle qu'elles occuperont pendant les 5 prochains mois. Chaque chose à sa place, toujours la même, tout ranger aussitôt, n'éparpiller que le nécessaire, seulement quand c'est nécessaire...

C'est important, les habitudes, ça libère l'esprit.

Vendredi 19 mai

Grosse étape aujourd'hui.

Nous avions prévu d'arriver seulement samedi à Bruz. Finalement, on a tout avalé dans la journée. 100 km de montagnes russes dans la Mayenne et l'Ille-et-Vilaine.

Un peu beaucoup pour le jour 2. Mais le lendemain la fatigue est évaporée... Merci le vélo couché ? Ou le matelas gonflable ?

Samedi, journée tranquille chez notre fille. Nous faisons la connaissance de Cosmos, le chat de notre petite-fille Yuna.

Pèlerinage à Chartres

L'après-midi, petit pèlerinage à Chartres-de-Bretagne, chez Cycle-Center, pour remplacer ma béquille qui est cassée. Un magasin incroyable. Deux entrées, une pour le sport et une pour le vélo urbain. Des vélos partout, sur deux niveaux, des accessoires que même nous on se demande à quoi ça peut servir...

Vaut le détour rien que pour le plaisir des yeux...

Dimanche 21 mai

Nous reprenons la route vers Guipry, petite ville au bord de la Vilaine, où nous devons retrouver Vincent et Marie-Anne Berthelot, et leurs amis Blandine et Pascal. Je vous raconterai la raison de cette rencontre une autre fois...

Après un bon moment partagé à la crêperie du port, ils rentrent chez eux à Redon. Nous abandonnons la Vilaine pour la voie verte Chateaubriant-Ploërmel. Cette fois c'est vraiment parti.

Ce soir, petit camping pour nous tout seul est en pleine campagne.

C'est dimanche et l'accueil est fermé. Nous appelons la gardienne. Elle arrive et gare sa voiture bien droit, alors que le parking est vide.  Il lui a fallu une bonne demi-heure pour nous expliquer toutes les consignes : " les vélos doivent rouler sur les gravillons, pas sur le ciment. Je vous confie une clé. C'est 200 € si vous la perdez. Vous devez fermer les portes à clé derriere vous. Si vous utilisez la cuisine, vous devez la laisser propre. Fermez bien les sanitaires sinon il y a des pêcheurs qui viennent laver leurs poissons. " Tout en parlant elle prend son balai, part à la chasse aux toiles d'araignées, puis elle nettoie les crottes d'oiseau et les traces sur les carreaux... Adorable !

Le camping est d'une propreté irréprochable. Elle en est fière et heureuse. Quand on aime ce que l'on fait, ça change tout ! À méditer...

Du Lundi 22 au jeudi 25/5

Après Ploërmel, nous quittons la voie verte pour le canal de Nantes à Brest.

Chemin de halage de la Vilaine, voie verte Chateaubriant-Ploërmel, canal de Nantes à Brest, voie verte Concarneau-Roscoff... À part une incursion dans la campagne du coté de Mûrs-de-Bretagne, puis entre Morlaix et Roscoff, cette traversée de la Bretagne Nord est bien douce...

L'horizontalité des chemins de halage n'est interrompue que par les petits raidillons entre les biefs, et les voies vertes sont d'anciennes voies ferrées, aux ondulations régulières.






Deux éclusières heureuses...


22/05/2023 - Canal de Nantes à Brest


23/05/2023 - Près de Guerlédan

Tranchée de Glomel, bataille perdue

La tranchée de Glomel, c'est le point culminant du canal de Nantes à Brest, le bief le plus haut, taillé à main d'homme dans la colline qui sépare le bassin de l'Oust et celui du Blavet. Voie d'eau rectiligne entre deux talus escarpés, coup de hache venu du ciel.

A l'entrée, un panneau : " travaux - circulation interdite ". Et que font les indociles gaulois que nous sommes, en pareil cas ? Ils y vont quand même !

Effectivement, le chemin est défoncé par le passage d'engins forestiers. Un champ de bataille. Il y a eu du défrichage sur la rive opposée. Les machines ont gagné, les arbres ont perdu. Séraphine et Rouletabille peinent dans les ornières boueuses.

Il y a eu ? Non. Il y a. 100 mètres avant la sortie de la tranchée un gros engin, en plein travail malgré l'heure tardive, se bagarre avec des branchages. Il barre entièrement la voie. L'homme nous dit de reculer. À gauche le canal, à droite un talus : Pas le choix, on bat en retraite jusqu'à un sentier qui rejoint un chemin un peu plus haut. La pente est trop raide. Première séance de poussette. Il y en aura sûrement d'autres.

Aprés la tranchée il nous faudrait rebrousser chemin pour aller au camping de Glomel. Pas envie. On décide de pousser jusqu'à Carhaix-Plouguer.

Encore quelques kilometres de canal, en descente cette fois, puis nous prenons l'ancienne route de Brest pour rejoindre un improbable camping, à coté de Carhaix.

Les vieilles charrues.

Sur internet ça disait : " la p'tite ferme - ferme auberge - camping - dîner paysan "

Toujours se méfier d'internet...

Le camping, c'est un champ d'herbes hautes, où paissent des moutons. Au moins on pourra les compter ce soir ! Seul un petit crop circle a été fauché pour y planter une tente. Les douches sont dans une baraque en tôle, avec deux carreaux de ciment pour poser les pieds. Mais nous ne sommes pas encore assez crasseux pour accepter une douche froide...

Quant au dîner paysan, c'est salade avec radis et pâtes. Si c'est pour manger des pâtes, on a les nôtres...

Les toilettes sont des baraques disposées le long de la clôture - La câbâne au fond du jardaing ", chantait Laurent Gerra imitant Cabrel. Pas besoin de fermer la porte. Au contraire : autant profiter du paysage. De toute façon il n'y a que nous ce soir.

Mais qu'est-ce qu'on a bien dormi ! Et puis faire son affaire le matin avec la porte des toilettes ouverte sur la campagne... Le bonheur !


Je pédale donc je pense... 

Retour sur la voie verte. 

Le paysage est ombragé, nous ne croisons que quelques randonneurs à pied ou à vélo. Nous avançons le plus souvent à couvert, protégés du vent de nord-est toujours aussi frais. Le relief est invisible. Seul l'effort sur les pédales nous informe sur le sens et l'intensité de la pente. C'est comme un long tunnel de verdure, d'odeurs anisées, de chants d'oiseaux, et de soleil qui perce les frondaisons... 

Nous avançons à effort presque constant, plus vite quand ça descend, moins vite quand ça monte. Nos jambes sont comme les bielles des vieilles locos à vapeur qui autrefois reliaient ces villages reculés. Le mouvement alternatif et régulier invite à la méditation. L'esprit s'évade...

Maisons éclusières ou de garde-barrière, toutes construites sur le même plan, témoignages d'une époque entreprenante et paternaliste, où le sens du collectif réglait encore les rapports sociaux...

Si les machines à vapeur avaient été plus puissantes, les pentes auraient été plus raides et moins adaptées aux vélos. Belle revanche de la traction " animale " ! 

De Kermeur à Morlaix, ça descend

À Kermeur nous atteignons le point culminant de la voie verte. Maintenant, c'est un long faux-plat descendant de plus de 12 km jusqu'à Morlaix.

La pente est douce et régulière. Je ne touche pas aux freins. Mes pieds sont au repos, suspendus aux pédales. Le vélo avance seul, à la bonne vitesse pour juste sentir l'air sur le visage et tranquillement dérouler le paysage. Les arbres, les fougères, les anciennes gares, les champs apparaissent, grandissent, puis s'évanouissent de chaque coté de mon champ de vision. Un pilote de planeur dirait : finesse max, le meilleur compromis entre la pente et la vitesse...

Terminée, la voie verte. Aprés la plongée finale vers Morlaix, nous remontons jusqu'au joli petit camping du Verger. Que des cyclistes, ce soir. Discussion, échanges de bons plans...


Plus que 30 kilomètres jusqu'à Roscoff. Changement de décor. Le paysage se fait plus breton : abers plus ou moins étroits, soudaines ouvertures sur la mer bleue, petits chemins en pente raide qui circulent entre les champs de terre fine, tout juste semés ou déjà recouverts d'artichauts. Soleil toujours et cette bise du nord-est... Il faut choisir avec soin les endroits où s'arrêter pour pique-niquer.


25/05/2023 - Près de Saint-Pol-de-Léon

Vendredi 26 mai

Saint-Pol-de-Léon. Étape à l'hôtel hier soir. Nous y laissons nos vélos et nos affaires. Aujourd'hui nous rentrons chez nous en train, pour des fêtes de familles prévues ce week-end. 

Dans le TGV, les employés du tertiaire tapotent nerveusement sur le clavier de leur ordinateur, souffre-douleur des temps modernes... Nous étions comme eux il y a peu. Vive la retraite (surtout au début) !

Mardi prochain, nous récupérons nos vélos et direction Cork, en Irlande.

Récap...

  • jeudi 18 mai - 77 km - Rouillon - Villiers-Charlemagne
  • vendredi 19 mai - 100 km - Villiers-Charlemagne - Bruz
  • samedi 20 mai - 13 km - Bruz
  • dimanche 21 mai - 60 km - Bruz - Les Brulais
  • lundi 22 mai - 71 km - Les Brulais - Rohan
  • mardi 23 mai - 85 km - Rohan - Carhaix
  • mercredi 24 mai - 53 km - Carhaix - Morlaix
  • jeudi 25 mai - 34 km - Morlaix - Roscoff

493 km.

Je pense donc je suis ... donc je pédale


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Commentaires

  1. Voilà je viens de prendre la route avec vous .....bon vent !!! Polbec

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  2. Bonjour Alain et Béatrice, j'ai embarqué dans votre promenade.. et ai revu le chemin de halage du canal, mes landes des Monts d'Arrée qui reverdissent. J'en étais à regretter de ne pas y être ce week-end pour vous donner rendez-vous devant le Kreisker à St-Pol... Moins de regrets puisque vous avez votre fête familiale. ☺️
    Kenavo et bonne traversée.
    LN

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  3. Alors, voyageons ! Merci Alain !

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